25 mars 2010

Le karité : ruée vers l’or ou ruée vers l’horreur ?

On dit souvent que le karité est l’or blanc des Africaines. La mise en valeur de cette ressource est peut-être en train de tourner en un Klondike du XXle siècle : quelques gagnantes pour beaucoup de perdantes. Explications :

Il y a quelques années, on a découvert les vertus thérapeutiques du beurre de karité une plante traditionnelle dont la consommation était jusqu’à récemment locale et folklorique. Le CECI encourage alors les femmes des villages à se regrouper et produire un beurre amélioré destiné aux marchés urbains ou à l’exportation. Ce produit remporte un certain succès et le modèle est reproduit avec l’aide d’une myriade d’ONG.

Le Mali est en quelque sorte le colosse du karité qui dort. Le karité qu’on y produit a encore aujourd’hui une mauvaise réputation pour sa qualité, mais tous s’entendent sur son potentiel : le Mali dispose de plus de 20 % des réserves mondiales d’arbres à karité. Or, le monstre est en train de se réveiller. Il faut savoir qu’au Mali, il y a environ 2 millions de cultivateurs et qu’en moyenne chacun d’eux a deux (oui 2) femmes. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le Premier-Ministre du Mali lui-même lors d’une convention internationale sur le karité qui vient de se terminer à Bamako et à laquelle j’ai assisté. On en déduit alors qu’au Mali, 4 millions de femmes se livrent à l’activité traditionnelle de la cueillette et de la transformation du karité. Conseillées par des ONG de divers pays, dont le CECI de Montréal, pour lequel je collabore actuellement, chaque année un nombre sans cesse croissant de femmes du Mali se regroupent en coopératives. Elles produisent de plus en plus de beurre d’une qualité en nette amélioration.

Si les pionnières et celles situées en proximité de Bamako réussissent à vendre leurs produits, pour les autres, c’est pas mal plus compliqué. En fait, pour celles isolées, le karité s’empile sans aucun débouché. Des dizaines de tonnes de karité sont en train de se perdre dans des entrepôts chauffés par le soleil. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut procéder à une analyse du marché du karité qui est en fait composé de trois segments bien distincts.

Le premier segment du marché est celui de ce que l’on appelle celui du karité traditionnel. On estime qu’environ 50 % du karité est actuellement transformé selon ce mode. Il est fait artisanalement depuis toujours dans les villages. C’est important de connaître ce processus, car il aura des implications importantes pour la suite de notre histoire. Les amandes sont récoltées à la fin de la période des pluies au moment des grandes récoltes de mil et des autres céréales à la base du régime alimentaire de la région. Il faut savoir qu’ici il pleut de juin à octobre et que le reste de l’année c’est sec, très sec. Cette récolte de céréales est donc vitale. Certaines années, la saison des pluies n’a pas lieu et la famine menace les populations locales encore rurales à plus de 80 %. C’est ce qui arrive en ce moment au Niger où le bouton de panique est enfoncé. Des enfants commencent à mourir de malnutrition et une opération de sécurité alimentaire à grande échelle est en marche.

Revenons à nos productrices de karité au moment de la récolte des céréales. Débordées de travail pour assurer la base alimentaire de la famille, elles doivent récolter, en fait ramasser au sol, les fruits murs de l’arbre à karité. Pour bien mettre en valeur les amandes le fruit doit être décortiqués et les noix bien séchées au soleil. C’est une opération sans problème tout au long de l’année sauf justement à cette période ou les averses sont encore fréquentes. Les amandes seront conservées, pas toujours dans de bonnes conditions, pour être transformées en beurre pendant la saison sèche au moment où les autres ressources financières se tarissent.

Le beurre de karité traditionnel est en fait de l’argent en banque. Mais c’est un produit sans aucune valeur à l’exportation, car il a mauvais goût et de mauvaises odeurs et il est disponible en quantité énorme pour un marché local composé des consommateurs ayant un des plus faibles niveaux de vie au monde. La loi de l’offre et de la demande est ici impitoyable et un calcul rapide permet de constater que la transformation des amandes en beurre traditionnel, qui demande un travail pénible et considérable, n’apporte à peu près aucune rémunération autre que celle de la valeur des amandes brutes. Cette saison, les amandes se sont vendues autour de 100 FCFA (.18 $) et le kilo de beurre se vend entre 300 et 400 FCFA. Comme il faut 3 kilos d’amandes pour produire un kilo de beurre et qu’en plus on doit ajouter les frais de bois et d’eau, la seule rémunération liée à tout se travail provient du fait que la rentrée d’argent aura lieu à un moment ou aucune autre alternative n’est disponible. Dans ce coin du monde où la survie est précaire, cette entrée d’argent à ce moment précis est parfois une question de vie ou de mort. C’est ainsi qu’encore 50 % des amandes de l’immense parc à karité de l’Afrique de l’Ouest seront transformées.

Le deuxième segment du marché est celui des amandes vendues à l’état brut et destinées à être transformées industriellement en une huile pour l’alimentation. C’est également un marché énorme, 45 % des amandes y seront destinées. En fait cette huile est-ce que l’on appelle un CBE, Cacao Butter Equivalent. Un peu partout dans le monde, sauf en Amérique du Nord, on autorise à ce qu’une portion de ce que l’on appelle chocolat soit composée d’autre chose que le cacao, des CBE. En Europe, de loin le premier marché mondial, c’est 5 %. La principale raison est économique. Donc le prix fixé pour le karité sera obligatoirement plus bas que celui du cacao qui va lui fluctuer selon les aléas de la situation économique mondiale, le chocolat étant un bien de luxe et sensible aux récessions, des conditions climatiques et politiques des principaux pays producteurs. En ce moment, la situation n’est pas très bonne, mais elle devrait s’améliorer. Toutefois, la valeur du karité est faible, car il demeure un substitut bon marché du cacao.

Le troisième segment de marché est celui destiné aux cosmétiques et c’est celui qui offre le plus de potentiel de valeur ajoutée, le karité étant de plus en plus reconnu comme étant un des meilleurs produits naturels pour les soins de la peau. Probablement même le meilleur. Mais ce marché ne compte que pour 5 % de la valeur totale des amandes (donc 10 % des exportations). De plus, il se divise en deux sous segments, celui des produits transformés industriellement (probablement plus de 90 % de ce segment), que l’on appelle raffinés et ceux artisanaux, dit non raffinés. Pour ajouter à la complexité, certains produits artisanaux, comme ceux que l’on retrouve chez l’Occitane ou Body Shop (de loin les deux plus gros utilisateurs), seront produits de façon artisanale puis raffinés industriellement. Ce qu’il faut savoir du karité raffiné, c’est que le processus inclut l’ajout de produits chimiques qui seront retirés par après.

Ici, on peut faire des distinctions entre le marché européen et le marché nord-américain. Le marché européen consomme à peu près exclusivement du beurre raffiné. Celui produit de façon artisanale portera souvent un label ou une mention équitable, car il ne possède aucune valeur supplémentaire intrinsèque par rapport à celui produit industriellement. Au contraire. D'une part, le processus industriel permet des économies d’échelle, mais aussi une plus grande stabilité au niveau de la qualité. La plus value du processus artisanal est en bonne partie détruite par le raffinage industriel.

En ce qui concerne le marché nord-américain, il y a une demande pour le karité naturel et non raffiné. Par contre, l’offre de produits certifiés équitables est encore embryonnaire. Ce marché est probablement le plus prometteur pour le karité artisanal. Mais sa croissance est à venir et l’exigence de la certification biologique y est beaucoup plus présente et elle est beaucoup plus difficile à obtenir que celles de L’équitable.

Après avoir fait une analyse de la demande du karité, revenons à nos productrices, c’est-à-dire à l’offre. La création d’une multitude de coopératives produisant un karité que l’on dit amélioré équivaut en fait à transférer une partie de l’offre des énormes marchés des amandes et du beurre traditionnel vers un tout petit segment qui se retrouve actuellement engorgé. De plus, le marché des cosmétiques demeure difficile. D’une part, en Europe, on préfère les produits raffinés et les produits artisanaux sont confinés à une étroite niche. En Amérique du Nord, les exigences de qualité demeurent et seuls les produits de première qualité y auront accès. Les productrices doivent démontrer qu’elles peuvent produire de façon stable des lots de beurre de première qualité. Ce qui est loin d’être le cas en ce moment.
D’une part, il est loin d’être évident que toutes les coopératives pourront atteindre ce niveau de qualité et si elles y arrivaient, le marché ne serait pas en mesure d’absorber toute cette production avant plusieurs années. On a fait miroiter beaucoup d’espoir à ses pauvres femmes et on les a formés en plus de les entrainer dans la création de coopératives, une structure complètement étrangère à leur culture. Il apparait évident que les promesses tenues ne pourront pas se réaliser. Et n’oublions pas que nous ne sommes pas à l’abri de l’apparition d’un autre produit miracle sorti du fonds de l’Amazonie ou autre coin perdu et pouvant être exploité beaucoup plus rapidement que le karité. La stratégie actuelle des ONG et qui vise à reproduire à l’infini le modèle des quelques coopératives de karité qui ont réussi doit être sérieusement repensé et des ajustements doivent être apportés, et ce, rapidement.

Lors de la rencontre du karité à Bamako où les principaux joueurs mondiaux étaient réunis, j’ai eu l’occasion de rencontrer l’acheteur de Body Shop une entreprise de taille qui a une approche équitable. Il m’a scandalisé en me disant que les coopératives devraient délaisser la production de beurre pour se concentrer sur la vente d’amandes de qualité. Il n’avait peut-être pas tout à fait tort. Une chose est certaine, la pertinence d’une entreprise vouée à la commercialisation du beurre de karité produit par les coopératives est non seulement une nécessité, mais une urgence.

1 commentaire:

  1. Bonjour, à ce que je vois tu n'as pas perdu de temps pour te replonger dans le merveilleux monde du karité. Comme tu le disais plus tôt, j'ai eu une réflexion semblable à la tienne... C'est-à-dire que c'est la nouvelle ruée vers l'or le karité, le truc à la mode dans les projets d'ONG. Toutefois, je crois que cela peux être dangereux. D'une part, si c'est mal géré (il y en à encore qui vont s'en mettre plein les poches). D'autre part, c'est quoi le vrai potentiel du karité? On dit aux femmes qu'elles vont enfin avoir des revenus, les ONG du financement pour leurs projets et les consommateurs des produits naturels. Mais est-ce que seulement le marché en veut du karité ou est-ce qu'on pense faire de la charité? Bon, c'est une vision pessimiste mais je pense que il faut garder l'oeil ouvert aux projets qui semblent tout en or. Tout ce que j'espère, c'est que l'espoir ne crée pas de profondes désillusions de part et d'autre. Enfin, j'espère que la route sera parsemée de petites victoires.

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